Les chiens noirs de la prose – Jean-Marie Gleize, 1999
Un contre-chant, ça ne s’improvise pas –
incapable d’une seule phrase vraiment nette qui se tienne debout, tout en courant. La question est là, celle qui peut se rassembler dans les mots : «droite en courant». Un désir de prose. Je me souviens de toi, de tes yeux fixes, de cette lettre de juin 1852, le 13 juin, tu lui disais ce que tu aimes, ce genre de phrase, et cette impuissance, cette folie de vouloir. Depuis, on continue. L’herbe pousse. Le goudron se répand sur le sol. Les murs sont de plus en plus hauts. Les ravins de plus en plus creux. On continue, je continue, je nage dans le courant, de plus en plus vite. On continue. Il faut continuer, les falaises sont à pic. Rien à faire, pas moyen de toucher les bords. Foncer dans les couloirs, les tunnels, le lit du torrent, jusqu’où
En quelques minutes le chien a changé de couleur.
Pendant tout le reste de l’histoire, un corps brûle. Je suis dans la pièce ici, chambre d’hôtel, quelques mètres carrés de chaleur humide et d’images, au rythme des paupières, tension artérielle et le reste. «Un corps brûle à vie.» Ou bien : «Naître encore.» Ou bien : «J’ai mangé un poisson de source». Ou bien «Je connais cet endroit». Je ne sais pas laquelle est la vraie. Les lauriers sont coupés, rasés, pourris. Je cherche un lieu de naissance.
Le chien ouvre la bouche.
Vannessa Beecroft consigne tout ce qu’elle mange depuis 1985 dans un registre intitulé Despair.