Lignes 1 (1500 musulmans) – Muriel Leray, 2007
Première œuvre de la série des blocs de Muriel Leray : confrontation d’une ligne et d’une forme minimale. Je localiserais ici mon moment au niveau du p de coup.
Première œuvre de la série des blocs de Muriel Leray : confrontation d’une ligne et d’une forme minimale. Je localiserais ici mon moment au niveau du p de coup.
Écrits / extraits
L’objectivation du moment donnera bien quelque confiance en l’existence de ce que l’on aura ressenti ; mais, en dernier lieu, si une œuvre apparaît dans l’histoire de la littérature, c’est en vertu de ses conséquences : sa descendance au moins autant que l’histoire critique autour.
La fidélité à une œuvre ne me semblera complète que lorsqu’elle aura été constituée par l’inscription dans la descendance de cette œuvre. Faire un pas de plus ; fonder une œuvre qui, se distinguant des prédécesseurs, s’inclura néanmoins dans une généalogie.
Je rassemblerai ici le catalogue de mes propres tentatives:
Intentions
Les programmes changent à mesure de la vie des œuvres, mais il n’est pas forcément inutile de les énoncer explicitement. En deux mots:
Textes
Ces deux mots auront esquissé une situation pour les textes que je présente ici. D’un côté, la conscience de l’immanence, au texte, d’un simple point de vue que la liberté d’expression se contente de classer ; de l’autre, la tentative de mettre à jour quelques faiblesses à cette logique.
Dans les textes longs, cette faiblesse sera recherchée dans la confrontation entre logiques fortes, cohérentes, (poème et mathématiques, poème et politique, poème et philosophie, poème et théologie, poème et métaphysique, poème et ingénierie).
Que l’hyper-cohérence tende à générer des paradoxes, voilà une constatation empirique qui n’a (peut-être) pas besoin de la littérature pour être découverte. Que dire des textes courts ? On tentera d’y entrevoir si une logique plus faible peut tout de même heurter de tels paradoxes. Un projet, ici développé, s’appuiera sur une technique de type cut-up.
Cette page n’aura pas pour ambition de construire une seule théorie cohérente, systématique, unificatrice de l’écriture ; la forme fragmentaire adoptée ici ne le permettrait pas encore. Mais le chantier est ouvert. Il faut d’urgence :
Qu’il fallût commencer par la sensation, on n’aurait pu le nier : c’est le réel de l’œuvre. Ainsi on devra, de prime abord, montrer du doigt. Ce geste restera insatisfaisant, toutefois.
Car ce geste est récupérable par le mystique –celui qui montre du doigt un lieu où il ne se passe rien, y fait fiction d’une action. Il y a bien une faiblesse irréductible à la simple indication de la sensation ; et même la description métaphorique, qui tenterait d’évoquer ce que l’on y sent, n’est pas à l’abri d’un tel soupçon.
Si la sensation est première, plus “vraie” que l’analyse de l’œuvre, il faut bien se défendre de l’accusation de mysticisme. Il serait coupable, par le silence, de légitimer les critiques nihilistes (celles pour qui il ne se passe rien et il ne peut rien se passer de plus que la logique générale de l’œuvre). Ce sont les accusations d’esbroufe qu’il faut mettre à mal ; pour cela, des outils faibles, comme la métaphore, sont insuffisants.
Le premier geste sera donc de chercher la trace de tout moment ou obstacle dans l’objectivité de l’œuvre. Cela pourra aussi entamer un dépassement du moment par la pratique : la création d’une nouvelle œuvre, fidèle aux frissons qui ont lancé le mouvement.
Ne laissons pas croire que la littérature soit le seul lieu pour de tels moments. Les arts plastiques, la musique, la science même dispensent leurs propres sensations.
Ces moments-là, pour véritablement singuliers, apparaissent au cœur d’une autre pratique ; ils peuvent inspirer quelque objet littéraire, par analogie, certes ; mais ne sont pas, sans perte, transposables en littérature.
Qu’importe si cette transposition est impossible. Chacun de ses moments aura un effet littéraire : il montrera un manque. Ce que telle démonstration pourra susciter, nul roman ne le permettra ; mais quel obstacle l’aura interdit ? qu’en apprendra-t-on sur chaque œuvre littéraire ?
Moments rares
Certains moments de lecture sont la trace d’une rareté. En ceci : une sensation qu’ils ont générée à la lecture ne semble pas être reproductible ailleurs ; pas même –bien souvent– dans le reste de l’œuvre du même auteur. Simplement, parfois, moment d’apparition de l’organisation générale, de la machine de cet auteur : typiquement, les premières pages du premier ouvrage lu. On ne va sûrement pas nier cette contingence-là. Reste qu’une dizaine d’œuvres m’ont offert de tels moments, quand la grande majorité n’a jamais permis rien de tel.
Ces moments sont mes seules certitudes ; s’il faut croire que la littérature vaut quelque chose, je pourrai bien soutenir que c’est (uniquement) parce qu’en son sein de telles sensations sont possibles. S’il faut écrire, ce ne serait alors que pour en permettre quelques autres, une poignée, peut-être.
Cette section en tentera un catalogue subjectif. Ils devraient être noyau de la pratique d’écriture qui sera définie ici, pas à pas.
Moments remarquables
D’autres moments, moins rares, remarquables néanmoins, seront énumérés ; moins singuliers, m’auront moins saisi ; tombant parfois
involontairement sous le coup d’une généralité, d’une tendance ; tendance dont certains peuvent s’honorer d’avoir révélée, d’autres
d’avoir, simplement, brillamment illustrée ; ils sont le négatif des précédents, mais forment eux aussi les fondations de cette pratique.
Les thèses qui seront développées ici ne serviront pas à constituer une théorie générale, empiriquement vérifiable, de la littérature ; elles auront, plutôt, l’ambition de fonder une pratique particulière –qui se trouve être la mienne, mais aurait pu être celle de n’importe qui.
Proposition 1: Les origines d’une pratique littéraire, issues des autres œuvres, constituent une constellation de moments rares.
Cette thèse s’oppose à l’idée que les œuvres vaudraient en tant qu’elles constitueraient des points de vue ou des expressions particulières. Pour point de départ, elle pose que la pratique littéraire se base sur des sensations de lectures, qui sont en exception des expressions et représentations.
Proposition 2: Une pratique littéraire peut se fonder sur des pratiques extérieures (e.g. mathématique, logique, politique, philosophie) pour autant qu’elles révèlent des entraves à sa logique propre.
Ce que cette thèse nie, ce que l’on puisse transposer tels quels, en littérature, des concepts qui se déploient dans des domaines étrangers. En s’appropriant ces concepts, la littérature les soumet à sa propre loi, les déforme, montrant ainsi son incapacité à les incorporer sans perte ; ce qui n’est pas une faiblesse ; plutôt le signe que la cohérence de ces mondes repose sur des lois différentes. Les plus aiguës de leurs conséquences ne sont pas solubles ; et, dans cette impuissance à les absorber, se révèlent des obstacles à notre propre pratique auxquels il faudra se mesurer.
Proposition 3: Obstacles comme moments rares sont objectivables, et peuvent être soumis à l’analyse.
Contre l’appel idéaliste à ineffable ou l’injonction critique de se taire, cette proposition suggère qu’il faut chercher dans les textes les indices de ce qu’ils permettent. Ce travail d’analyse aura deux effets : il soutiendra l’existence d’une sensation face à ceux qui n’y auront rien vu ; il donnera quelques fragiles points de départ pour des œuvres nouvelles.
Proposition 4: Une pratique littéraire se fonde sur des décisions, des principes, dont seules les conséquences valident la prise.
La seule présence de ces quatre thèses repose sur cette proposition.
Ce n’est pas de la validité en soi d’une décision qu’il faut discuter, mais bien de son effet sur l’œuvre, de ce qu’elle lui permet. Si l’on soutient par exemple que les sensations sont rares, une étude cognitive ou statistique des sensations de lecture ne nous apprendra rien pour la pratique ; au contraire, sur l’affirmation de ce principe, et sur la présence conjointe d’un filtre exigeant, une œuvre se construira fermement ou se constituera en désastre. On ne pourra pas déterminer le résultat a priori ; il faudra prendre un risque.